Épisode 1. L’heure du silence

Tome 2 - Épisode 1 - L’heure du silence

Contexte

Temps universel coordonné 2 mars 1953 - 05:00
Lieu
  • Terre
  • Union Soviétique
  • Oblast de Moscou
  • Résidence de Kountsevo
Trame Ligne Temporelle Prime

Récit

La pluie martelait la cime des pins comme autant de coups portés sur les tambours d’un cortège funèbre. La nuit, lourde et engourdie, n’était percée que par le halo des lampadaires rouillés qui bordaient l’entrée de la datcha de Kountsevo. L’air sentait la boue, le métal et la fin imminente d’un règne que personne n’osait encore proclamer.

Deux gardes, figés dans une posture rigide, montaient la garde sans un mot. Leurs visages blêmes, perclus de fatigue et de peur, semblaient sculptés dans la pierre soviétique. Rien ne venait troubler leur veille, hormis les bourrasques de vent et le ruissellement constant des gouttières. Jusqu’à ce que, dans l’obscurité saturée, une silhouette noire se détache lentement de l’ombre des bois.

Vue nocturne de la résidence soviétique de Kountsevo sous la pluie, avec deux gardes en uniforme stationnés près d'une grille éclairée, tandis qu'une silhouette encapuchonnée s'avance lentement depuis l'obscurité.

Elle marchait d’un pas ferme, droit, sans se hâter. Chaque pas sur les dalles détrempées résonnait comme un métronome funeste. Lorsqu’elle franchit la zone de lumière, son visage resta caché sous une capuche trempée, mais les deux soldats échangèrent un bref regard — non pas de surprise, mais de reconnaissance.

Sans poser de question, ils s’écartèrent. La grille fut ouverte. La silhouette entra.

À l’intérieur, les couloirs de la résidence présidentielle étaient silencieux, baignés d’une lueur maladive émanant des plafonniers. Les domestiques dormaient. Les responsables de la garde, eux, s’étaient absentés pour d’obscures raisons. Au bout d’un long couloir, une lourde porte de bois restait entrouverte sur une chambre faiblement éclairée.

Couloir intérieur faiblement éclairé de la résidence de Kountsevo, avec une lumière maladive tombant du plafond, des murs en bois sombre, et une porte entrouverte au fond laissant filtrer une lueur inquiétante.

L’homme qui gisait dans ce lit immense, drapé dans des couvertures alourdies par l’âge et la sueur, haletait doucement. Le maréchal, le stratège, le père des nations, était réduit à une carcasse fiévreuse, son souffle aussi mince que la ligne fragile de son pouvoir.

La silhouette s’approcha du lit sans un bruit. Elle leva la main. Un petit dispositif translucide pulsa faiblement dans l’obscurité, comme un témoin silencieux, puis la main nue se posa lentement sur le front du malade, les doigts s’étalant dans un geste presque rituel. Le contact dura plusieurs secondes. Rien ne bougea. Rien ne fut dit.

Puis la silhouette se redressa, tourna les talons, et quitta la pièce. Aucune trace. Aucun témoin. Rien.

Ce n’est qu’à l’aube que les domestiques pénétrèrent dans la chambre. Le chef suprême gisait au sol, inerte, les yeux mi-clos, la bouche entrouverte comme figée dans un dernier ordre jamais prononcé.

Personne ne sut exactement qui donna l’alerte, ni combien de temps s’était écoulé depuis l’incident. Les versions divergeaient. Certains parlèrent d’un malaise survenu dans la nuit. D’autres prétendirent que les médecins avaient été volontairement retardés.

Durant trois jours, les hautes sphères du pouvoir soviétique s’enfermèrent dans un mutisme glacé. Les communications avec l’extérieur furent contrôlées avec une rigueur implacable. Les membres du Politburo se réunissaient dans l’ombre, comme pour se répartir un héritage empoisonné.

Le 5 mars, l’annonce tomba : Le camarade Staline était mort.

Le peuple fut abasourdi. Les files s’allongèrent pour voir une dépouille que beaucoup n’osaient même pas contempler. Les larmes coulaient dans les rues de Moscou, tandis que les voix officielles saluaient la disparition d’un guide éternel.

Vue aérienne en noir et blanc de milliers de citoyens soviétiques rassemblés en file sous la pluie, devant un imposant bâtiment officiel à Moscou, lors des funérailles de Staline en mars 1953.

Mais dans les couloirs les plus discrets de l’appareil, une autre question était sur toutes les lèvres : Que va-t-il advenir maintenant ?

Personne n’évoqua cette silhouette.

Personne n’évoqua la nuit du 2 mars.

Et personne ne soupçonna que quelque chose, ou quelqu’un, avait emporté bien plus qu’un simple souffle ce matin-là.